Pour s’émerveiller, tout commence par une histoire.
Un piano, une enfant,
et trois mésanges
Il y eut d’abord un silence. Celui, presque sacré, de la première rencontre.
Un couple, jeune encore, mais dont les gestes lents trahissaient déjà la gravité douce de ceux qui portent en eux le soin d’aimer. Ils parlaient d’un piano. Pas un jouet, non. Un petit instrument, en bois, avec des touches qui répondent à la main, avec des notes un peu fausses peut-être, mais franches, vivantes.
Et cette demande, déposée comme on confie une prière : trois oiseaux. Trois mésanges. Pour eux, pour leur enfant.
Je les ai écoutés. Plus qu’avec mes oreilles, je crois. Avec la peau, avec l’âme.
Dans leur silence, il y avait déjà tant de choses dites.
J’ai commencé à chercher. Les marchés, les greniers oubliés, les annonces aux photos floues. Il m’en fallait un qui ait déjà chanté, un qui ait été aimé, touché. Je l’ai trouvé un matin, entre deux chaises bancales, au fond d’un entrepôt qui sentait le thé froid et les livres humides. Il était là. Abîmé, certes. Mais digne. Il attendait.
Quand je l’ai porté jusqu’à l’atelier, j’ai pris le temps. Je l’ai nettoyé comme on lave un visage endormi. Puis je l’ai regardé. Longtemps. Le bois parlait. Je griffonnais, j’effaçais. Il fallait que les mésanges viennent naturellement. Pas comme une décoration. Comme une présence.
Elles sont venues, un soir. Sous mon pinceau, trois silhouettes fines, nerveuses, pleines de lumière. Chacune différente. L’une curieuse, l’autre timide, la dernière posée comme un souffle sur une branche. Elles se sont posées sur le bois. Elles sont devenues les gardiennes. Du chant, du jeu, de l’élan.
Et puis le temps du séchage. Celui où il ne faut rien faire. Juste attendre. Laisser les choses reposer. Grandir en silence.
Quand je l’ai livré, le salon s’est rempli d’un parfum de fête discrète. Les parents ont installé le piano comme on installe un berceau. Avec douceur. Avec une sorte de pudeur émerveillée.
Leur petite fille n’a pas encore touché les touches. Mais elle le regarde. Parfois elle tend la main. Elle rit quand on frappe doucement une note. Elle sent, déjà, que ce bois-là contient quelque chose de plus grand qu’elle.
Je ne sais pas si elle deviendra musicienne. Peu importe.
Mais un jour, elle se souviendra peut-être. D’un piano. D’un matin.
Et de trois mésanges qui l’attendaient.




